Daniel Thalmann

1977 fut sûrement l’année la plus importante de ma vie puisque en l’espace de quelques mois, je soutenais ma thèse, puis, je me mariais avec Nadia Magnenat, qui elle-même soutenait aussi sa thèse et nous partions pour Montréal le 17 août. Une date dont je me rappellerais toujours puisque nous avions passé la nuit à vider notre studio et préparer nos bagages, en écoutant la radio qui annonçait le décès du King, Elvis Presley, mort le 16 août 1977.

Pourquoi être parti à Montréal ? Giovanni Coray, alors Professeur à l’EPFL, m’avait parlé du DIRO et d’un poste de Professeur-assistant au concours, j’ai alors postulé,rencontré Gregor Bochmann, en Suisse, pour un interview. Parallèlement, Nadia obtenait la bourse des jeunes chercheurs du Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique. Nous pouvions partir pour une nouvelle vie à Montréal.

Pourtant, en arrivant ce même 17 août, ce ne fut pas facile. Nous sommes arrivés, avec des tas de bagages et surtout notre chienne MIRA. Lucille Roy, nous avait réservé une chambre dans les résidences universitaires, mais les chiens n’étaient pas admis. Nous avons alors erré avec une voiture de location dans tout Montréal à la recherche d’une chambre où on admette les chiens. Finalement, une bonne âme nous a accepté dans un petit hôtel de la rue Sherbrooke.

Le lendemain, je suis allé à l’UdeM et j’ai rencontré Robert Cléroux, qui était devenu Directeur du DIRO, Lucille Roy, Suzanne Rodrigue, Jean Vaucher, Gregor Bochmann, Claude Christen et les autres, bien sûr.


Daniel et Nadia

Comme j’avais enseigné le langage PASCAL à Genève, on m’a confié un enseignement dans ce langage. Et là aussi, une surprise ; j’ai donné mon premier cours devant 450 étudiants avec des transparents ; et j’ai vite senti une certaine agressivité dans l’auditoire. A la pause, beaucoup d’étudiants sont venus vers moi et m’ont demandé si vraiment j’allais continuer à utiliser des mot-clés en anglais. C’était ma première rencontre avec les problèmes linguistiques du Québec, que j’allais bien sûr vivre plus intensément avec la loi 101 et les nombreuses querelles linguistiques de l’époque.

J’avais fait ma thèse à l’Université de Genève sur des systèmes d’exploitation portables pour mini-ordinateurs à l’aide d’un langage de haut niveau et une machine abstraite ; en quelque sorte, un JAVA avant l’heure. Le système d’exploitation ainsi qu’un compilateur PASCAL réduit fonctionnait sur DATA GENERAL NOVA et DEC PDP-11. A Montréal, je me mis à la faire marcher sur un mini-ordinateur INTERDATA. Mais, il n’y avait pas grand-chose de nouveau la dedans. Il fallait trouver une nouvelle voie de recherche ; Nadia avait fait sa thèse sur l’équation de Schrödinger et représenté des orbitales en 3D. Nous avions envie de travailler ensemble, et l’union de nos compétences Infographie et Compilation nous amena à créer un langage graphique basé sur les types abstraits, une extension de PASCAL , baptisée tout naturellement MIRA-2D, MIRA du nom de notre chienne et 2D, car nous nous limitions au plan. Avec l’aide d’un étudiant, Christian Pellegrini, le compilateur MIRA-2D devint une réalité et nous étions très fiers de montrer qu’on pouvait dessiner … des cercles concentriques, mais programmés avec des types abstraits en MIRA-2D.

Entretemps, Nadia trouva un poste de Professeure-assistante à l’Université Laval à Québec, mais revint à Montréal une année plus tard pour occuper un poste aux HEC.

Nous continuâmes notre recherche commune et MIRA-3D allait naître ; un étudiant, Philippe Bergeron passionné d’animation par ordinateur, nous proposa de faire un film avec MIRA-3D. Finalement, nous nous lancions avec lui à la réalisation d’un court-métrage Vol de Rêve. Le film de 13 minutes, racontait le rêve d’un extra-terrestre qui allait à Paris, puis a New York où, incompris, par les New Yorkais, il détruisait New York, la statue de la Liberté et le World Trade Center (déjà en 1982 !). Le film fut un grand succès ; il obtint plusieurs prix et surtout celui de Londres devant TRON de Walt Disney. C’est d’ailleurs à cette occasion que l’Assemblée Nationale du Québec fut interrompue pour annoncer la nouvelle. Le film fut montré partout aux Etats-Unis (SIGGRAPH), au Japon, en Amérique du Sud, en Europe.

Vol de Rêve, 1982

Mais, nous ne voulions pas nous arrêter là ; il fallait un nouveau projet plus ambitieux. L’opportunité arriva en 1986 ; pour le centième anniversaire de l’Ordre des Ingénieurs du Canada, on proposa à Nadia de trouver un projet original hightech pour le grand public à présenter en Mai 1987 à la Place des Arts. Nadia et moi avons cherché ce qu’on pourrait faire d’original. Et l’idée vint : pourquoi ne pas recréer des personnes célèbres en images de synthèse tel que Marilyn Monroe et Humphrey Bogart ? Mais à cette époque personne n’avait tenté de recréer des personnes existantes ou ayant existé. C’était un grand défi surtout que nous n’avions pas le logiciel et qu’il fallait tout faire en une année. Un vrai travail de pionnier, en tous les sens du terme. Une équipe interdisciplinaire fut mise sur pied qui travailla dans les beaux locaux de Nadia aux HEC dans l’immeuble de la Banque de Montréal: pour la première fois, on mis ensemble des designers avec des programmeurs. Ross Racine, designer dessina les polygones directement sur une statue en plâtre de Marilyn, qu’un sculpteur de Montréal modela. Dominique Guy et Alain Caron ont fait le design des bâtiments, le rendu et l’animation des personnages. Denis Rambaud développa le logiciel d’animation des corps, Richard Laperrière celui des déformations des mains, tandis que Eric Primeau s’attaquait à l’animation des visages. Une année après, le film « Rendez-vous à Montréal » recréant Marilyn Monroe et Humphrey Bogart se rencontrant au Marché Bon-Secours, était présenté devant au gala de l’Ordre des Ingénieurs à la Place des Arts. Ce fut un succès inattendu pour nous. Tous les journaux en ont parlé, pas seulement la Presse, le Devoir, ou la Gazette, mais le Globe and Mail, le New York Times, ou le Monde, en France. Le film a été diffusé sur plus de cent chaînes de TV et même dans les avions comme ceux de Singapore Airlines. On nous interviewa dans de nombreuses émissions de Radio Canada, à NHK News au Japon, à la BBC, etc….


Buste de Marilyn

Rendez-vous à Montréal, 1977

Après Rendez-vous à Montréal, nous fourmillions d’idées de recherche mais cela demandait du matériel de pointe et par conséquent de l’argent. Nous étions des pionniers dans cette discipline de simulation des Humains Virtuels et le financement de ce type de recherche très nouvelle n’était pas établi. Nous ne pouvions maintenir l’équipe interdisciplinaire. A cette époque nous apprenions que des postes s’ouvraient en Suisse. On proposa un poste à Nadia à l’Université de Genève et six mois plus tard, j’en obtenais un à l’EPFL. L’idée de voir ce qui se passait en Europe, de tenter de nouveaux défis, le retour au sol natal, nous attira. L’aventure Québecoise était terminée.

Je n’oublierai jamais le Québec qui nous a donné une chance fantastique grâce à son esprit ouvert et innovateur. Ce fut une période créative et dynamique dans ma vie. Nous avons pu réaliser nos rêves de recherche et être part intégrante de ce courant innovateur. Aujourd’hui, nous avons chacun, Nadia et moi, un grand laboratoire, l’un à Genève, l’autre à Lausanne et poursuivons nos recherches sur les Humains Virtuels. Nous travaillons différemment. Nous développons des projets dans le cadre de l’Europe avec plusieurs groupes de recherche européenne. Le domaine s’est répandu et quasi tout le monde simule des personnes par ordinateur.

Le Québec reste à coup sûr notre pays d’adoption. Nos trois filles, Melanie, Vanessa, et Sabrina, sont nées à Sainte-Justine ; notre carrière s’est essentiellement fait là et même si je ne regrette pas vraiment le froid de l’hiver Québecois, chaque fois que je reviens à Montréal, j’ai un petit pincement au cœur.

= FIN =